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L'Histoire

 

 

Salle de légende où la patine des murs témoigne de la mémoire des moments d’exception dont elle a été l’endroit, le Théâtre des Bouffes du Nord est habité depuis l’origine par des comédiens et des musiciens venus du monde entier. Construit en 1876, il renaît en 1974 sous la direction de Peter Brook et Micheline Rozan. En 2010, Olivier Mantei et Olivier Poubelle en reprennent la direction et perpétuent la tradition d’un lieu de créations.

Un lieu, une histoire

© Patrick Tourneboeuf

De 1876 à 1974

 

1876 - Destiné au répertoire de Café-concert, le Théâtre des Bouffes du Nord, commandé par M. Chéret à l'architecte Louis-Marie Emile Leménil, est construit sur des fondations déjà existantes, supposées être celles d'une caserne dont le projet fut abandonné. La salle comporte 530 places réparties en un parterre, un rang de loges et une galerie.

 

1876 à 1885 - Une quinzaine de directeurs malchanceux se succèdent. Le théâtre, situé dans le quartier excentré de la Chapelle, en lisière des champs, mal éclairé et mal desservi, rebute les habitués des salles parisiennes. Quant au public de l'endroit, il n'est pas préparé à assister sagement à un spectacle. Il arrive que la police soit forcée de l'expulser tant il prend part avec passion aux événements qui se déroulent sur la scène.

 

1885 - Abel Ballet, metteur en scène qui sévit principalement dans les théâtres de quartier, rouvre les Bouffes du Nord. Il y monte de grandes fresques historiques et des mélodrames où Margot pleure à gros sanglots. Le spectacle commence à 7 heures le soir et fini souvent au-delà de minuit. Tout comme à Montparnasse, on apporte son fricot que l'on réchauffe sur le poêle commun et que l'on déguste à l'entracte, Cette année-là débute Yvette Guilbert dans La Reine Margot d'Alexandre Dumas.

 

1893 - Abel Ballet accueille Lugné-Poë qui, avec les comédiens du Théâtre de l’Œuvre, crée Rosmersholm et Un Ennemi du peuple de Ibsen, dans des décors dessinés et peints par Edouard Vuillard.

 

1896 - Abel Ballet quitte la direction des Bouffes du Nord. Les deux comédiens Emmanuel CIot et G. Dublay lui succèdent.

 

1904 - La salle, sous l'impulsion de ses directeurs, est entièrement restaurée, repeinte, et l'électricité y est installée. Comme pour lui donner ses lettres de noblesse, on rebaptise le théâtre "Théâtre Molière" et on fait appel à des auteurs tels que Henry Kistemaeckers, Georges Darien et Gaston Leroux. 

 

 

Août 1914 - Le Théâtre Molière, comme tous les autres théâtres, ferme ses portes.

 

1917 - Déjà propriétaires de plusieurs scènes de variétés, Oscar Dufrenne et Henry Varna se portent acquéreurs des Bouffes du Nord qu'ils transforment en music-hall.

 

1923 - Oscar Dufrenne et Henry Varna se retirent. Henry Darcet leur succède et inscrit les Bouffes du Nord dans "Le Consortium des théâtres de quartiers". Réunis dans une même association, Les théâtres des Gobelins, de Grenelle, des Ternes, de Montrouge, des Bouffes du Nord, etc « font tourner des spectacles à succès, créés sur les boulevards. »

 

1929 à 1935 - Paul Le Danois et Charles Malincourt remplacent Henry Darcet qui prend la direction de la Scala, ils poursuivent comme ils peuvent la politique du Consortium. Décès Charles Malincourt, puis de Paul le Danois. Les Bouffes du Nord n'offrent alors plus que des spectacles épisodiques.

 

Mai 1945 - Comme pour fêter l'Armistice, un jeune metteur en scène, plein d'enthousiasme, Jean Serge, ouvre à nouveau le théâtre auquel il donne le nom de "Théâtre des Carrefours".

 

Septembre 1946 - Ne pouvant plus assumer financièrement la bonne marche du théâtre, Jean Serge se retire. René Marjolle, ex-chanteur de l'Opéra-Comique souhaite donner une vocation lyrique aux Bouffes du Nord, mais après une année difficile, lui aussi, abandonne.

 

Décembre 1950 - Charles Béai, ancien directeur du Théâtre de l'Humour, tente à son tour l'expérience. Il la réussit grâce à une reprise de Ces Dames aux chapeaux verts d'après le roman de Germaine Acremant, avec Alice Tissot et Armand Bernard. La pièce reste à l’affiche plus de trois mois. On se reprend à espérer...

 

Juin 1952 - Trop vieux, mal entretenu, le théâtre ne présente plus les normes de sécurité prescrites par la préfecture de Police et doit fermer ses portes.

 

Septembre 1969 - Le Théâtre est racheté par Narcisse Zecchinel, entrepreneur du bâtiment italien, empêchant ainsi qu’il soit démoli.


Excerpts from The Parisian Theatres by Geneviève Latour and Florence Claval, published by the Délégation à l'Action Artistique of the city of Paris.

La réouverture

©DR

1974, la réouverture du Théâtre par Peter Brook

Peter Brook et Micheline Rozan, fondateurs du Centre International de Créations Théâtrales, se souviennent de ce bâtiment délabré qu'est le Théâtre des Bouffes du Nord. Grâce à l'appui financier du Festival d'Automne, que dirige Michel Guy, ils le font restaurer avec une intelligence et un goût remarquables.

 

« Trois années de voyages et d'expériences nous avaient appris - à la dure - ce qu'est un bon espace, et ce qu'est un mauvais espace. Un jour, Micheline Rozan me dit : "Il y a un théâtre derrière la gare du Nord que tout le monde a oublié. J'ai entendu dire qu'il était toujours là. Allons voir !" Nous avons sauté dans une voiture, mais arrivés à l'endroit où le théâtre aurait dû se trouver, il n'y avait rien, juste un café, un magasin et une façade aux fenêtres nombreuses, typique des immeubles parisiens du XIXème siècle. Pourtant, nous remarquâmes sur le mur un bout de carton qui bouchait vaguement un trou. Nous le retirâmes, nous nous frayâmes un chemin à travers un tunnel poussiéreux, pour soudain nous redresser et découvrir, délabrées, carbonisées, ruinées par la pluie, grêlées, et pourtant nobles, humaines, lumineuses, à couper le souffle : les Bouffes du Nord.

Nous prîmes deux décisions : l'une, de laisser le théâtre exactement comme il était, de ne rien effacer des marques qu'une centaine d'années de vie lui avaient laissées ; l'autre, de ressusciter l'endroit aussi vite que possible. On nous prévint que c'était impossible, un fonctionnaire du ministère nous dit que cela prendrait deux ans pour obtenir l'argent et les permis. Micheline refusa leur logique, accepta le défi. » Peter Brook

 

15 octobre 1974 - Réouverture du Théâtre des Bouffes du Nord avec Timon d'Athènes, dans une adaptation de Jean-Claude Carrière et une mise en scène de Peter Brook.

 

« Nous avions conservé les vieux sièges en bois du balcon, mais en les recouvrant d'un nouveau tissu. Pendant les premières représentations, quelques personnes sont restées littéralement collées à leur siège, et nous avons dû rembourser quelques dames très fâchées d'avoir laissé un morceau de leur jupe.

Heureusement, il y eut beaucoup d'applaudissements, mais qui cassèrent littéralement la baraque, puisque de grands pans de moulures se détachèrent sous l'effet des vibrations, et tombèrent, ratant de peu les têtes de nos spectateurs. Depuis, le plafond a été nettoyé, mais l'extraordinaire qualité acoustique demeure.

Micheline et moi nous avons établi une politique : le théâtre devait être simple, ouvert, accueillant. » Peter Brook

 

1993 - Le Théâtre des Bouffes du Nord est classé monument historique.

 

« C'est souvent beau, un vieux théâtre, mais toute mise en scène y reste confinée dans des espaces d'autrefois. Un théâtre tout neuf peut être dynamique et pourtant rester froid et sans âme. Aux Bouffes du Nord, on est frappé par la noblesse des proportions, mais en même temps, cette qualité est cassée par l'apparence rude du lieu. Ces deux aspects font un tout. Si l'on restaurait parfaitement le théâtre, alors la beauté de l'architecture perdrait en quelque sorte de sa force et deviendrait un inconvénient. » Peter Brook

 

Extraits de Points de suspension de Peter Brook, Éditions du Seuil.

Peter Brook

© Colm Hogan

 

« Je n'ai jamais cru en une vérité unique. Qu'il s'agisse de la mienne ou de celle des autres. Je crois que toutes les écoles, toutes les théories peuvent être utiles en un certain lieu, en un temps donné. Mais je crois qu'on ne peut vivre qu'en s'identifiant passionnément, et, absolument, à un point de vue.
Toutefois, le temps passant, à mesure que nous changeons, que le monde change, les objectifs varient et le point de vue se déplace. Si je considère les essais que j'ai écrits, les idées émises en maints endroits, une chose me frappe: une certaine continuité. Pour qu'un point de vue soit d'une quelconque utilité, il faut s'y consacrer totalement, il faut le défendre jusqu'à la mort. Pourtant, en même temps, une petite voix intérieure murmure : " hold on hightly, let go lightly". »
 

Extrait du livre Points de suspension de Peter Brook, Éditions du Seuil.

 

Peter Brook est né à Londres en 1925. Tout au long de sa carrière, il s’est distingué dans différents genres : théâtre, opéra, cinéma et écriture.
 

Il met en scène de nombreux textes, principalement de Shakespeare pour la Royal Shakespeare Company, tels que Peine d’amour perdu (1946), Mesure pour Mesure (1950), Titus Andronicus (1955), Le Roi Lear (1962), Marat/Sade (1964), Le Songe d’une nuit d’été (1970) et Antoine et Cléopâtre (1978).
 

À Paris, en 1971, Peter Brook fonde le Centre International de Recherche Théâtrale (CIRT), lequel devient, lors de l’ouverture des Bouffes du Nord, le Centre International de Créations Théâtrales (CICT). Ses productions se remarquent par leurs aspects iconoclastes et leur envergure internationale : Timon d’Athènes (1974), Les Iks (1975), Ubu aux Bouffes (1977), Mesure pour Mesure (1978) La Conférence des oiseaux (1979), L’Os (1979), Le Mahabharata (1985), La Cerisaie (1989), Woza Albert ! (1989), La Tempête (1990), L’Homme Qui (1993), Qui est là (1995), Oh ! Les Beaux Jours (1995), Je suis un Phénomène (1998), Le Costume (1999), La Tragédie d’Hamlet (2000), Far Away (2002), La Mort de Krishna (2002), Ta main dans la mienne (2003), Tierno Bokar (2004), Le Grand Inquisiteur (2005), Sizwe Banzi est mort (2006), Fragments de Samuel Beckett (2007), Eleven and Twelve d’après Amadou Hampaté Ba (2009) et The Suit (version en anglais et musicale du Costume, 2012).
 

Il dirige plusieurs opéras : La Bohème (1948), Boris Godounov (1948), Les Olympes (1949), Salomé (1949) et Les Noces de Figaro (1949) au Covent Garden de Londres (Royaume-Uni), Faust (1953), Eugène Onéguine (1957) au Métropolitain de New York (Etats-Unis), La Tragédie de Carmen (1981) et Impressions de Pelléas (1992) au Théâtre des Bouffes du Nord et Don Giovanni (1998) pour le Festival d’Aix-en-Provence.
 

Avec Marie-Hélène Estienne et Franck Krawczyk, il crée Une Flûte enchantée d’après Mozart et Schikaneder au Théâtre des Bouffes du Nord dans le cadre du Festival d’Automne à Paris (2010) et The Valley of Astonishment (2013), puis Battlefield (2015), toujours au Théâtre des Bouffes du Nord.
 

Ses principaux livres sont L’Espace vide (1968), Points de Suspension (1987), Le Diable c’est l’Ennui (1991), Avec Shakespeare (1998), Oublier le Temps (2003), Avec Grotowski (2009) et La Qualité du pardon (2014).
 

Peter Brook est aussi réalisateur de Moderato Cantabile (1959), Sa Majesté des Mouches (1963), Marat/Sade (1967), Le Roi Lear (1969), Rencontres avec des hommes remarquables (1976), Le Mahabharata (1989) et The Tragedy of Hamlet (2002).

Site officiel : www.newspeterbrook.com

Le projet aujourd'hui

© Patrick Tourneboeuf

 

Au fil des saisons, le public est invité à découvrir comme autant de spectacles, les mariages amoureux entre musique, théâtre et opéra. Toutes les musiques - classique, jazz, musiques actuelles - se disputent l’affiche de la saison de concerts.

 

Le Théâtre des Bouffes du Nord produit une grande partie des spectacles et concerts présentés au public. Ainsi, chaque saison, quatre spectacles en création viennent rejoindre les œuvres déjà au répertoire. Ces projets sont accompagnés dès leur conception, portés par des artistes et compagnies émergents ou historiques, au gré d’un compagnonnage structurant et d’une fidélité assumée saison après saison. En contrepoint des levers de rideau parisiens, chaque année, près de 250 représentations en tournée des productions des Bouffes du Nord trouvent leur public sur les cinq continents.

 

Fort de ce rayonnement, le Théâtre des Bouffes du Nord revendique aussi son ancrage local et s’engage sur son territoire pour la diversité de ses publics et l’accès de tous à la création.