En composant en 1946 Le Viol de Lucrèce, d’après une pièce d’André Obey, Britten et son librettiste, pacifistes convaincus et engagés depuis bien avant la guerre, s’adressent à une société européenne meurtrie par la guerre et la haine. En renonçant à la grande machine opératique, ils abordent pour la première fois la forme plus intimiste de l’opéra de chambre. Britten écrit en effet pour un petit effectif de musiciens et de chanteurs-acteurs expressifs dans un langage musical et théâtral où la force de la narration prime sur l’illusion scénique. Britten reprend à son compte le mythe de l’épouse vertueuse et suicidaire en écrivant une partition d’une puissance d’évocation exceptionnelle qui interroge le désir et son vertige d’angoisses sous toutes ses formes : l’amour réciproque, les envies coupables et la frustration. Britten invite à réfléchir sur la violence des rapports humains, sur la sexualité et ses zones d’ombre. Par la force de l’incarnation de son héroïne-victime, Britten nous place devant le tragique de la condition humaine.