Depuis ses tout débuts, Tigran semble être habité par l’idée d’ouvrir au maximum son spectre musical.
Il n’a que 19 ans quand il se retrouve catapulté sur le devant de la scène en
2006 par sa victoire au prestigieux concours Thelonious Monk présidé par Herbie
Hancock. Adoubé par la jazzosphère mondiale, le jeune Arménien s’est empressé
d’éviter d’être « catalogué ». Après avoir crapahuté avec
l’inévitable paire rythmique formée par les frères Moutin, Tigran s’est
constitué en 2009 un groupe, un vrai, aux côtés de jeunes loups de la scène
new-yorkaise membres de l’influent Kneebody comme le saxophoniste Ben Wendel ou
le batteur Nate Wood. Baptisé Aratta Rebirth, le quintette payait autant son
tribut à la musique traditionnelle arménienne qu’au métal labyrinthique de Meshuggah
ou au jazz fusion de Chick Corea. Trois ans plus tard, le garçon opérait encore
une nouvelle mue. Sur A Fable, il se
présentait dans le plus simple appareil : en duo avec son piano. Au menu,
des éclats de pop minimaliste, des mélodies de sa patrie natale et des
relectures habitées de standards tel Someday
My Prince Will Come. Et nouveauté, Tigran donnait de la voix sur quelques
pistes. Plébiscité aux quatre coins du monde, l’opus remporta une Victoire de
la Musique.
Avec Shadow Theater, le pianiste poursuit son entreprise de construction
massive. Après avoir exploré l’univers des fables arméniennes, c’est dans une
autre tradition, plus visuelle qu’orale, qu’il puise son inspiration. Ce « Shadow
Theater » qui sert de titre de baptême au disque, il faut l’entendre comme
une invitation à passer de l’autre côté du miroir, dans un monde imaginaire et
onirique qui doit autant à Tim Burton qu’à la tradition du « théâtre
d’ombres » : un art en apparence simple où des silhouettes s’animent
par magie derrière une toile. « Un
monde minimal et faux, mais qui exprime la vérité à travers ce mensonge »
confie Tigran. Également limpide en apparence, Shadow Theater regorge de dizaines de figurines qui habitent la
tête du pianiste, de Madlib à Sigur Rós en passant par Steve Reich. Avec ce
disque le jeune arménien explore encore de nouvelles pistes tout autant
électroniques que soniques et s’affirme comme un ébouriffant songwriter doublé d’un chanteur au
timbre fragile.